dimanche 8 mai 2011

Do electric sheeps dream?


Gros changement donc. On perd 7 millimètres en tranche. Perte en stabilité. Gain en légèreté. Et nouveauté: premiers essais de découpe numérique. Premiers clonages. Pour l'instant chaque lettre fut tracée à la main, et recopiée avec ses hésitations, obligées, la scie sauteuse tremblante, la circulaire dépendante du guide, l'apprentissage du geste, loin de la trace laissé par la matière d'un crayon sur la surface fragile du papier, là ça découpe, ça tranche dans la matière pour en extraire une forme, la possibilité d'un alphabet, arraché à la matière, l'apprentissage de ce geste, au mieux, jamais parfait, d'écriture à la circulaire, serre-joints, guide, tracer la lettre à l'envers pour éviter l'éclatement du bois à la découpe sur sa face visible, à la scie sauteuse, se placer dans la courbe, toujours, l'avant bras comme rayon, ne jamais changer de main pour ne pas altérer la courbe dans sa lancée.
Je voulais attendre la fin. Attendre d'avoir un alphabet complet, une typo achevée "niveau zéro de l'écriture", avant de lancer l'étape de la découpe numérique. Chaque lettre créée, pour l'instant, le fut en fonction d'un mot, sa place dans le mot, comment elle réagissait avec les autres, comment elle se formait avec des bouts d'autres, déjà tracées, une courbe de "o" pour le "g" la grosseur d'une jambe de "e" répercutée ailleurs, et des emprunts, voulus, connotés, le "u" de super U, le "a" de "adidas", comme pour réaffirmer le lien avec la publicité.

La lettre est vectorisée. C'est un immense changement. On copie l'écrit entamé, la lettre tracée est traduite en côtes, dit autrement cela donne ça, le dit du "e":
"J'ai recopié la photo quasiment à l'identique. Le haut de la lettre ainsi que le bas droit ne sont constitués que de droites et quarts de cercle avec des tangences parfaites. Le bas gauche, ce sont des splines faites "à la volée" (ça peut peut-être être peaufiné)."
Mon frère a traduit la lettre dans son langage. Poésie. Spleen. Fêtes à la volée. J'aime assez. La lettre devient une série de coordonnées, d'abscisses, un espace propre, un nouveau lieu, territoire, cartographié.

Mais les lettres, désormais, seront toutes identiques. Action contre répétition. Un cran. Clavier versus crayon. Casse contre écriture. "Le niveau zéro de l'écriture" sort des essais d'écriture pour devenir presque de l'impression sur paysage.
Mon implication propre quitte la lettre même, presque complètement. Chaque lettre va être photographiée et traduite en chiffres, côtes et tangentes. J'ai construit mes lettres, une à une, elles ont presque toutes une histoire, liée à chacune d'elle: là une étape est franchie, j'abandonne de plus en plus le mode de l'écriture, l'acte même d'écrire, pour passer à celui de l'imprimerie. Je délaisse la facture, une par une, de chaque lettre pour gagner du temps et travailler, sans doute, plus l'expression. L'installation. Dans le paysage.

Je décide de ne pas les peaufiner.
De ne pas retravailler la lettre.
Ici le "e".
Ces premiers "e" clonés seront à l'image du dernier fait, photographié.
Sans retouches. Aucunes. Ni repentir. Faciles à l'ordinateur.

Conserver ainsi dans la lettre, même froide, mon geste d'écriture premier, la typographie hésitante de mes mouvements, à la craie, sur le panneaux de contreplaqué, recul, observation retouche, effacement, affiner la courbe, une fois, deux fois, et revenir dessus, à l'éponge, reculer, observer, mon corps se déplaçait énormément, "ductus" augmenté, je créé la lettre avec mon corps entier, retoucher, revenir, sentir le moment où, voilà, la lettre se tient. Je peux couper. Trancher.
Tous ces mouvements,du corps, face à une lettre, je les ai aimés. Chorégraphie typographique.
N'ai pas autant de plaisir, la main simplement augmentée d'une souris. Le corps assis. Immobile.

Il y a, dans cette approche de la lettre, une notion forte de mouvement. Comme dans le reste du projet.

La primauté du geste. D'écrire. Difficilement. Laborieusement. A chaque pas, chaque lettre, être là pleinement. Dans la réalité. Du geste. De la lettre. Du monde. De cette traversée, laissant une trace, lettrée, sur le monde. Puis rien.
Juste une traversée. Porter les lettres, d'un lieu à un autre. Une à une. Ou un mot, à plusieurs. Traverser le monde, avec le langage. Retrouver un mouvement littéraire.

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